Des aumôniers militaires sur le front de Picardie


Des aumôniers militaires

sur le front de Picardie

Octobre 2002, Des aumôniers militaires sur le front de Picardie

Une récente biographie de St Vincent de Paul, tout dernièrement traduite en français, et qui fera date, évoque la mission atypique que notre saint et ses compagnons prêchèrent aux Armées en 1636 – José Maria Roman, « St Vincent de Paul – Biographie » – Traduction : André Sylvestre, cm ; Jules Vilbas, cm ; Jean-Marie Lesbats, cm. cf. présentation et extrait du chapitre concerné dans ce n° d’Egmil, page 01-27 -. Ce bref épisode de l’histoire de l’aumônerie militaire en France mérite notre attention et suscite quelques remarques, et pas seulement pour l’historien.

Les événements d’août 1636

Que se passe-t-il donc en 1636 ? Les troupes espagnoles de Don Fernand d’Autriche envahissent le Nord de la France, culbutent les armées royales et, début août, campent à 60 kms de Paris. Louis XIII et Richelieu lèvent en hâte des troupes pour contre-attaquer. A la mi-août, plus de 70 compagnies ont été formées.

C’est alors que le chancelier Pierre Séguier donne l’ordre (peu après le 15 août) à St Vincent de Paul de fournir à l’armée vingt prêtres – sur les 29 que la Compagnie de la Mission comprenait alors – pour prêcher une mission à ces régiments. Cette mission durera six semaines. La campagne militaire se poursuivra, quant à elle, jusqu’en novembre, mais seulement quelques-uns des prêtres furent retenus jusque-là pour assurer la fonction d’aumônier.

Ces événements appellent quelques remarques. D’une part, quant à l’attitude de l’autorité politique ou miliaire, d’autre part, quant à celle de St Vincent de Paul, pour y répondre.

Les initiatives du chancelier royal

Peut-être s’attendrait-on à ce que St Vincent de Paul, alerté sur la gravité de la situation, et témoin direct de la préparation d’une nouvelle armée pour contre-attaquer, proposât l’aide spirituelle de quelques prêtres de la Mission auprès de ces unités, voire demandât au Roi de ménager des postes d’aumôniers dans les différents régiments. Or, les choses ne se font pas ainsi, c’est le chancelier qui « réquisitionne  » les prêtres et non l’Église qui réclame d’être présente.

De plus, l’ordre porte d’abord sur la prédication d’une mission, pas seulement sur l’accompagnement pour assister spirituellement les hommes, avant et au long de la bataille. Une mission sur six semaines, cela indique une démarche catéchétique et sacramentelle quelque peu approfondie ; le nombre d’aumôniers est, lui-même, élevé et correspond à peu près à un prêtre pour quelque centaines d’hommes. Celui des confessions est lui aussi remarquable (plus de 4000 à la date du 20 septembre, soit en l’espace de quatre semaines).

Ce n’est que dans un deuxième temps, celui de la campagne proprement dite et avec un effectif en aumôniers bien moindre, qu’on devine la mise en place d’un autre style d’action pastorale, où il s’agit d’accompagner les militaires sur le terrain et dans des combats.

A remarquer encore le fait que le chancelier Séguier inscrit dans sa suite personnelle un poste d’aumônier, qui sera rempli par Robert de Sergis. On aimerait évidemment connaître de manière plus précise les intentions qui étaient celles du chancelier et du Roi dans cette perspective, et en particulier vis-à-vis des 6 semaines de  » mission « .

Le règlement que St Vincent de Paul donna à ses prêtres en la circonstance répond peut-être pour une part à cette question, au moins en son premier article :

Les prêtres de la Mission, qui sont à l’armée, se représenteront que Notre Seigneur les a appelés à ce saint emploi : Pour offrir leurs prières et sacrifices à Dieu pour l’heureux succès des bons desseins du Roi et pour la conservation de son armée
– ibid. p. 192.

La généreuse réponse de St Vincent de Paul

Le chancelier réclamait vingt prêtres, Vincent de Paul ne disposait que de quinze prêtres présents à Paris, qu’il envoya aussitôt ; lui-même se déplaça au Q.G. royal à Senlis ; il rédigea sans tarder un règlement -que nous avons déjà évoqué plus haut- pour ces prêtres nouvellement promus aumôniers militaires. On voit qu’il cherche par là à maintenir l’excellence de la vie spirituelle et religieuse de ses confrères et, simultanément, à orienter leur action pastorale, notamment en vue de la conversion et de la sanctification des soldats, qui leur étaient confiés :  » aider les gens de guerre qui sont dans le péché à s’en retirer, et ceux qui sont en état de grâce à s’y conserver « .

Il songera aussi à donner à l’aumônier de la suite personnelle du chancelier Séguier des instructions utiles pour se bien comporter dans sa charge d’aumônier des  » grands « . Somme toute, Vincent de Paul, avant la lettre, compose un directoire de l’aumônier catholique !

Clairement, dans ces documents, apparaît l’assurance paisible de Vincent de Paul quant à la légitimité de ce ministère aux Armées, que ce soit à travers l’expression des sentiments patriotiques ou à travers la conviction que le  » Dieu des Armées  » – St Vincent de Paul aime à rappeler ce titre que l’ancien testament (une quinzaine d’emplois) et la liturgie donnent volontiers à Dieu – ne s’oppose pas au métier des armes ou aux actions militaires qui restent ordonnées à donner la paix.

Outre cet usage qu’il fait, comme au premier degré, de l’expression vétéro-testamentaire du  » Dieu des Armées « , on remarquera son  » utilisation  » du passage de l’Évangile où Jean déclare  » N’allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais bien le glaive  » (Mt 10, 34) ; St Vincent de Paul commente :  » et cela pour nous donner la paix qui est la fin de la guerre « . Le métier des armes et l’action militaire elle-même trouvent donc leur légitimation éventuelle dans cette recherche et dans cette construction de la paix, à la suite du Christ lui-même, au prix parfois de l’usage du glaive.

De cet épisode, vieux de plus de trois siècles et demi, je retiens trois conclusions qui pourraient s’avérer toujours d’actualité :

 

  1. Ce grand missionnaire et consolateur de toutes les misères, que fut Vincent de Paul, n’eût pas l’initiative de cette action pastorale auprès des militaires (ni lui, ni l’Église en son temps) ; c’est bien le commandement qui eût l’initiative, et qui définît même la ligne d’action des aumôniers, mais St Vincent de Paul, rapidement, y répondit avec une grande générosité et un grand sérieux dans la mise en oeuvre de son  » dispositif  » (même si ses moyens restaient limités et en deça du programme qui lui avait été fixé).
  2. Le programme de  » la pastorale aux Armées « , que cet épisode suggère, apparaît double : chronologiquement d’abord, le temps de la mission, puis celui des opérations militaires ; cela n’est d’ailleurs pas réductible à l’idée d’un temps de prise de contact, puis d’un temps d’accompagnement dans l’action. Il s’agit plutôt de deux pôles : un pôle proprement d’évangélisation et un pôle de conseil et d’écoute (l’un et l’autre pouvant d’ailleurs s’exprimer à travers un  » vivre avec « ). C’est ce premier pôle, qui se traduit à travers la demande d’une  » mission « , qui peut sans doute nous inspirer aujourd’hui, sachant qu’il est quelque peu oublié comme tel, ou traité de manière extrinsèque, alors qu’il permet d’apporter du sens et de la profondeur à l’autre pôle d’accompagnement spirituel.
  3. Vincent de Paul cherche à fonder de manière christologique cette présence dans les Armées et au cours des actions militaires. Il s’agit de suivre le Christ qui vient apporter la paix aux hommes mais à travers un chemin de contradiction : le glaive, le feu … Il ne s’agit pas seulement de porter secours, le cas échéant, au combattant malheureux et souffrant, mais bien de dégager un sens à ce métier des armes, s’il est vraiment au service de la Paix.
Patrick LE GAL, Evêque aux Armées Françaises 🔸

Les prêtres de la Mission, qui sont à l’armée, se représenteront que Notre Seigneur les a appelés à ce saint emploi !

Laisser un commentaire