Mes chers amis, dans le Seigneur : il y a déjà quatre mois et demi que j'ai vécu dans ma propre chair l'expérience de la vulnérabilité de ma condition humaine à travers la COVID 19. Ce fut un moment difficile, d'incertitude et de peur. Mais je vous avoue que ce fut aussi un temps pendant lequel j'ai pu apprécier de plus près la miséricorde de Dieu et sa présence...

« La vie est belle ». Mon expérience de la COVID-19

« Tu m’as guéri, tu m’as fait revivre, l’amertume s’est changée en Paix, quand tu as arrêté mon âme devant la tombe vide et que tu as jeté derrière toi tous mes péchés. L’abime ne te rend pas grâce, la mort ne te loue pas, et ceux qui descendent dans la fosse n’espèrent pas ta fidélité. Ce sont les vivants, les vivants qui te louent, comme moi maintenant. Le père enseigne à ses enfants la fidélité. Sauve-moi, Seigneur, et nous jouerons de la harpe tous les jours dans la maison du Seigneur » (Isaïe 38, 16-20).

Mes chers amis, dans le Seigneur : il y a déjà quatre mois et demi que j’ai vécu dans ma propre chair l’expérience de la vulnérabilité de ma condition humaine à travers la COVID 19. Ce fut un moment difficile, d’incertitude et de peur. Mais je vous avoue que ce fut aussi un temps pendant lequel j’ai pu apprécier de plus près la miséricorde de Dieu et sa présence, ainsi que la solidarité de toute ma communauté local et paroissiale, de la Province de France, de ma famille, de mes amis et de tant de personnes de la famille vincentienne, ou de bonne volonté et aussi le dévouement du personnel de la santé de l’hôpital Robert Ballanger; à travers la prière, de soins, ou peut-être un petit geste, une pensée, un message : je vous en serai éternellement reconnaissant.

Je peux vous dire que parfois il est difficile d’exprimer ses sentiments et davantage encore entre nous, hommes consacrés pour la cause de l’amour. Nous devrions toujours en revenir à la source inépuisable de la miséricorde de Dieu, sachant surtout que nous sommes un don pour l’autre et que la vie se gagne en la donnant. Oui, trois mois ont passé depuis ma sortie de l’hôpital et j’ai eu le temps de faire une halte sur le chemin, de réorienter ma vie, mon ministère ; je crois que, pour tous, « ce temps au milieu de rien » nous a fait mesurer notre capacité à résister et à redonner espoir devant le découragement de beaucoup.

Je voudrais m’appuyer sur l’évangile de dimanche 18ème du temps ordinaire pour vous raconter cette expérience à ma façon. L’évangile de ce dimanche commençait par un évènement douloureux pour Jésus : la mort de son très cher ami Jean-Baptiste. Il a donc cru nécessaire, dans sa douleur, de se retirer seul dans un lieu pour être avec son Père. Comme c’est important un temps pour méditer et ne pas faire comme si rien ne s’était passé ! Mais comment c’est arrivé tout cela ? Et Pourquoi à moi ? De toutes façons, il nous arrive à tous un moment difficile, et comment cela arrive-t-il ? Cela a commencé 15 jours avant de faire le test. J’avais assisté à un déjeuner avec la communauté dans une paroisse voisine où nous déjeunons d’habitude tous les 15 jours, tous les prêtres de l’unité pastorale. Il se trouve que le curé était allé en Alsace où il y avait déjà eu quelques cas. Cependant, comme c’était le début de cette turbulence qui secoue encore le monde, on n’y a pas prêté attention. Et puis trois jours ont passé et je suis retourné à une réunion de préparation à la catéchèse pour adultes dont je fais partie avec ce curé et nous avons dîné à nouveau avec lui et son vicaire à une très petite table. Aucune distanciation à ce moment-là. Le week-end est arrivé et je ne me sentais pas bien. Je commençais à avoir de la fièvre, enrhumé, mal à l’estomac et perte de l’appétit. Comme les symptômes continuaient, je suis allé chez le médecin le lundi suivant. Il m’a fait une consultation rapide et m’a dit que ce n’était pas grave, qu’il s’agissait d’un rhume, il m’a donné des médicaments pour la fièvre et la douleur et m’a dit de prendre quelques jours de repos.

D’habitude, quand on va chez le médecin et qu’il donne de bonnes nouvelles, on se sent rassuré. Les jours passaient et il n’y avait pas d’amélioration. J’ai passé toute cette semaine-là avec les mêmes symptômes. Ce week-end, comme d’habitude, des femmes de la paroisse sont venues. Elles ont insisté pour que je fasse un test. J’ai attendu le lundi pour le faire. Il fallait appeler un numéro de téléphone. J’ai appelé et on m’a dit d’aller aux urgences de l’hôpital Robert Ballanger. Ce 16 mars dans l’après-midi, un confrère de la communauté m’a accompagné. Il fallait attendre un peu. Je lui ai dit de rentrer à la maison, et que, quand j’aurais terminé, je l’appellerais pour qu’il vienne me chercher. L’attente fut un peu longue : environ 2 heures, mais comme on pressent quelque chose quand on rentre à l’hôpital, on voit que le panorama s’assombrit. Etant donné que la pandémie commençait, les gens avaient peur de moi. Maintenant je comprends vraiment le travail du personnel soignant et tout ce qu’ils risquent. On m’a examiné. Il fallait attendre le résultat. J’étais sur un brancard, et vers 21h30, on m’a donné les résultats, me confirmant que j’étais positif : je me souviens que j’ai pris la nouvelle normalement et que je me suis dit : ça va passer. On croit, parce qu’on est jeune et fort, que ce sera une question de temps. J’ai envoyé un message à mon confrère lui disant que j’étais positif, que je devais encore attendre à l’hôpital et que je l’appellerais plus tard. Jusqu’à ce point j’ai gardé la mémoire des événements, mais après, on m’a mis en coma artificiel pendant presque un mois.

Que puis-je dire de cette expérience ?

D’abord, c’est comme si on était entre la veille et le sommeil, comme si on était déconnecté de la réalité tout en étant conscient. Je m’explique : dans les rêves ou cette réalité artificielle, tout a à voir avec la tâche qu’on accomplit, c’est-à-dire pour moi, celle qui concerne mon sacerdoce. Je cite quelques exemples, mais il y en a beaucoup, certains bons, d’autres qui sont un vrai cauchemar. Je vous raconte en détails. Entre autres, j’ai rêvé que tout cela m’était arrivé au cours d’un voyage en Espagne, je ne sais comment, nous étions dans un bateau qui avait naufragé, Nous avons été sauvés par la Marine française qui nous avait emmenés à Barcelone et j’aurais juré que j’étais en Espagne. En outre, je me souviens très bien que j’avais même pensé appeler Toño (José Antonio Gonzalez, confrère colombien en études à Salamanque) pour qu’il vienne me chercher. Vous voyez ? Il y a beaucoup de vrai, mais aussi beaucoup d’imagination. Par exemple, après le sauvetage, j’étais dans une grande salle, on m’appelait et je ne pouvais pas marcher, ni même bouger ; j’avais très soif, mais il n’y avait pas d’eau. On m’en avait donné un tout petit peu et j’en demandais encore et encore. Un autre rêve était que j’allais à Cali en Colombie, pendant les fêtes, mais seulement pour trois jours de repos, et que j’étais tombé malade ; j’étais dans une maison des Filles de la Charité, la même où on donnait des soins médicaux et j’y avais été hospitalisé pour un mois. Je savais que là étaient mes confrères mais c’étaient les sœurs qui me soignaient. Je me souviens même que l’économe ne voulait me faire aucune remise sur l’hospitalisation. Comme on m’a fait une trachéotomie, je rêvais qu’elle avait aussi eu lieu à Cali et que le médecin qui me l’avait faite était un confrère prêtre de la province d’Italie que j’avais connu à Rome et avec lequel nous étions partis en mission plus tard.

Le temps a passé et en relisant tout ce qui m’est arrivé, je peux dire que l’esprit est incroyable : il y a une certaine prédisposition qui aide à faire le pas suivant. Je m’explique : ces trois rêves que je vous raconte m’ont beaucoup aidé au rétablissement. Pourquoi ? Quand je me suis réveillé, ou plutôt, qu’on m’a réveillé, j’avais une soif épouvantable. Vraiment je n’en pouvais plus, j’ai demandé de l’eau et encore de l’eau, c’est la première chose que j’ai demandée, mais on ne m’en donnait pas, et je ne comprenais pas pourquoi. C’est pour cela qu’une infirmière très chère me passait un linge humide sur la bouche et cela me rafraichissait un peu. Le second rêve, je ne pouvais pas bouger dans cette grande salle.

Je me trouvais dans une grande salle avec beaucoup de médecins et d’infirmières. Intubé avec des tuyaux et vraiment, j’étais paralysé. J’avais mal partout. Je ne pouvais pas bouger. Et le troisième rêve, la « trachéo », comme je l’avais rêvé, n’a pas été difficile à accepter pour moi. C’est-à-dire, tout était intégré à l’avance, alors, comme je vous le dis, c’est peut-être mon point de vue : je crois que là est la foi : Dieu dispose tout à nouveau.

En plus de ces rêves, je rêvais aussi que j’avais fait un voyage en famille, que j’étais allé en mission en Inde, que j’étais allé à une messe avec le Pape à 1h du matin et cela me paraissait très étrange. Je rêvais aussi que la province de Colombie avait acheté des terrains dans la banlieue de Bogotá, qu’on m’avait envoyé comme supérieur, et que je travaillerais avec un des frères Garcia (dans notre province de Colombie, nous avons où nous avons eu 5 frères prêtres dont 2évêques décédés, je ne sais pas si c’est parce qu’ils étaient évêques !), un frère, et en plus c’était une œuvre en association avec des filles de la charité déjà âgées. Et ainsi, beaucoup d’autres rêves.

Pour en revenir à l’évangile, ce temps de retrait pour Jésus (temps d’hospitalisation pour moi, de quarantaine pour vous) je crois que cela a été un temps de réconciliation (avec nous-mêmes, nos frères, la famille) pour retourner à l’action, c’est-à-dire, vivre la charité. Je suis convaincu, comme le grand missionnaire Jean-Gabriel de Perboyre, qu’on n’a pas besoin d’autres signes (l’évangile, l’Eucharistie, le crucifix) pour se donner à la cause de l’amour.

Oui, le monde a besoin de compassion, les foules cherchent à être consolées et nous, nous sommes les mains et les pieds de Jésus. Quelle est ma réponse aujourd’hui à cette proposition d’aider à guérir les blessures de tant de frères ? Notre comportement est parfois celui des disciples : on reçoit les gens, et ensuite, qu’ils se débrouillent comme ils peuvent. Et ainsi, chers frères, nous pourrions en rester à l’aspect miraculeux de l’action de Jésus, mais lui veut nous enseigner davantage : il n’est pas nécessaire de tout avoir pour faire quelque chose, il faut seulement avoir le peu que nous avons, et avec l’aide de Jésus, ce sera l’abondance, parce que c’est son œuvre, et pas mes calculs. Donnez sans mesure et on vous donnera sans mesure ; quand on sentira qu’on n’en peut plus, on découvrira qu’on dispose de cinq pains et de deux poissons, cela parait bien peu, mais l’aide de Dieu complètera. Il s’agit de donner un peu de notre temps, de notre argent, de notre sympathie, de notre amitié, et ce don que nous faisons sera contagieux. Si les autres nous voient faire quelque chose, ils feront comme nous et il y en aura assez pour nourrir la foule. Notre Saint fondateur a multiplié non seulement le pain, mais aussi l’amour, pour qu’il y en ait pour tous.

Maintenant je voudrais être reconnaissant à nouveau spécialement à tous pour leur solidarité, leur amitié et leur affection. Les petits gestes d’amour, d’estime… cela vaut de l’or pour moi. Après ma sortie de l’hôpital le 2 mai, ce sentiment de reconnaissance m’a toujours accompagné. Je vous avoue que la vulnérabilité de la vie m’a rappelé très vivement ce que je savais déjà et qui est même banal : « rien n’est pour toujours ». Ni la vie, ni la santé, ni les amis; mais j’ai vraiment appris ce que nous prêchons souvent : la vie est un miracle, et chaque jour, chaque heure, chaque minute, chaque seconde compte et nous devons oser vivre, risquer ce qu’il y a de mieux, n’importe si on s’écrase contre le mur, on aura au moins la satisfaction d’avoir fait quelque chose, d’avoir essayé, et il faut essayer encore et encore. Il faut, pour ainsi dire, se donner l’occasion de se tromper parce que cela nous réveille et nous conduit à assumer la vie avec beaucoup plus de responsabilité, et ainsi nous serons convaincus de l’importance de rechercher tous les jours à être plus authentique et d’avoir honte de nos propres fautes. Je ne vois pas d’autre chemin pour un véritable changement. Quand j’étais à Medellin, alors que Don Luis était recteur, il insistait toujours sur cette phrase dont je me souviens depuis, je ne sais pas si elle était de lui, mais elle m’a bien plu : «Ne demande pas à l’Institution  ce que ne te donnera pas ta propre conversion ». Pour que cela ne paraisse pas aussi religieux mais une conviction, j’ai aussi appris que les changements viennent de l’intérieur, du plus intime, ce qui compte le plus.

Je voudrais partager avec vous quelques sentiments de l’interprétation spirituelle que j’ai eue de cette expérience-limite.

  • Le pouvoir de la prière et action de grâce

Elles se traduisent dans la présence de Dieu qui est toujours là et dans la persévérance de la prière de vous tous. Je vous avoue qu’aujourd’hui j’ai une grande dette envers vous tous. Oui, je vous dois la vie, et bien sûr aussi, à tous ceux qui se sont inquiétés pour moi à l’hôpital. Je vous invite à vous sentir fiers de votre foi. Vous avez obtenu ce que vous avez demandé: un miracle, parce que vous avez incliné Dieu à écouter votre prière. Ma vie en est témoin. Parfois nous nous décourageons parce que nous n’obtenons pas ce que nous demandons à Dieu, mais ce que vous avez fait pour moi peut vous donner la certitude que Dieu est compatissant et miséricordieux et que cela vaut la peine d’espérer contre toute espérance.

  • La présence de l’autre et les signes de Dieu

Le lendemain du jour où j’ai repris conscience, je me suis rendu compte qu’une des infirmières était africaine. Je ne suis pas sûr qu’elle était congolaise. Elle avait à peu près 27 ans. Elle s’est approchée de moi et m’a dit à l’oreille avec beaucoup de respect : « Père, je viens pour prier ensemble». Cela m’a marqué. Quelques-unes des prières partagées avec moi, surtout à la Vierge Marie, elle les connaissait même en latin. C’est arrivé deux ou trois fois; la prière terminée, elle me disait « Père, je passe toujours par ici et quand vous aurez besoin de prier, faites-moi appeler avec mes compagnes ». Comme vous pouvez voir, Dieu envoie toujours quelqu’un qui susurre à l’oreille qu’il est toujours là et pour cela, nous croyons aux anges et surtout, à l’ange gardien. Voyez, une fois de plus, la main de Dieu, de manière évidente. Je sais que l’Eglise et le monde traversent des moments difficiles, mais il ne faut pas avoir peur. Au contraire, toujours croire au Seigneur qui a promis à ses disciples, et à nous à travers eux, que nous ne serions jamais seuls. Il y aura toujours quelque chose qui nous pousse en avant miraculeusement. C’est la force de l’Esprit qui donne vigueur au corps et courage à l’âme.

  • L’expérience de la résurrection et le miracle de se sentir vivant

Nous parlons toujours de la résurrection et nous en avons suffisamment de récits dans l’Ecriture et souvent nous en parlons très bien, mais quand on la vit, n’importe quelle explication ne suffit pas car on se rend compte que ce n’est pas une idée abstraite, mais un fait concret dont on est témoin. Après avoir été conscient de l’endroit où j’étais, j’avais dans la tête le souci de donner des signes de vie, vous dire à vous et surtout à ma famille : « je suis vivant, ne souffrez plus ! » Je pensais surtout à papa et maman, comme ils devaient être angoissés, ayant déjà perdu un enfant, et bien sûr, cela eût été une douleur encore plus forte car, quelle mère ou quel père veut perdre son enfant ? Je peux vous dire que pour moi personnellement, la résurrection signifie «se réveiller» et pour quoi? Pour dire comme le Seigneur : « Courage, c’est moi, n’ayez pas peur ». Pour annoncer cette bonne nouvelle qu’est la vie. C’est pour cela que je vous invite à vous réveiller pour voir les signes de Dieu. Nous sommes vivants, mais pas réveillés et c’est une très grande différence. Comment reconnaitre l’amour de Dieu dans notre vie ? Dans ce sens, Saint Paul a affirmé que si le Christ n’était pas ressuscité, notre foi serait vaine. Ainsi tous les doutes sur la présence de Dieu dans ma vie ont disparu. Comment ne pas voir l’œuvre de Dieu dans ma vie! Je ne vous dis pas la grande joie de tous quand ils ont entendu à nouveau ma voix, et, je le dis surtout pour ma famille. Cette fois vraiment, les larmes ont été de joie. En même temps, j’ai senti ma famille beaucoup plus confiante en Dieu, et bon, parfois les mauvais moments de la vie nous portent à tout remettre entre les mains de Dieu qui sait se manifester. Et si cela tarde, cela finit toujours par arriver et nous en donne la preuve. Certains de mes confrères m’ont dit aussi qu’ils n’avaient jamais autant prié pour quelqu’un. Cela touche le cœur et je vous assure vraiment que c’est là où on reconnait ses amis, quand ils nous aident à traverser les orages de la douleur. Aujourd’hui plus que jamais, je suis sûr que cela vaut la peine de vivre et d’avoir les amis et la famille que j’ai, et que non seulement mes parents ou mes frères auraient donné leur vie pour moi, mais aussi nombre d’entre vous. L’écriture s’accomplit : il n’ya pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Merci immensément de partager ce miracle qu’est ma vie et je vous demanderai encore de prier pour moi, de même que je vous assure de mes prières et de mon amitié. Je vous aime dans le Seigneur, maintenant plus que jamais. Continuons à désirer le ciel dont nous voyons les signes concrets sur cette terre, mais surtout, croyons en la vie éternelle. Nous ne serons jamais déçus.

 

Villepinte, Seine Saint Denis, France, Août 2020, Fête de l’Assomption de la Vierge Marie